La ruée vers l’hydrogène

L’hydrogène, promesse d’une énergie décarbonée ? Pas si simple. Rappelons tout d'abord que l'hydrogène n'est pas, en soi, une énergie : c'est un vecteur de stockage, qui se laisse difficilement apprivoiser. Pour y voir plus clair, Leonard s’est projeté dans l’avenir en 3 scénarios.

“Les plus pieux affirment qu’au commencement il y avait Dieu. Je leur réponds qu’au commencement, il y a avait de l’hydrogène.” D’un bon mot, le physicien américain Harlow Shapley laisse imaginer la place primordiale de l’hydrogène dans le fonctionnement de notre monde. Avec 92% des atomes, c’est tout simplement l’élément (H) le plus abondant de l’univers. Paradoxalement, cette ressource incontournable reste encore un territoire à explorer pour l’humanité. Aujourd’hui, il est utilisé principalement dans la production d’ammoniac ou le raffinage de produits pétroliers et de carburants. 74 millions de tonnes qui ne pèsent pas lourd face aux promesses futures. La combustion de la forme moléculaire de l’hydrogène H2 produit 3 fois plus d’énergie que l’essence à poids égal. Plus important encore : cette combustion ne produit que de l’eau ! En face des espoirs, les freins sont tout aussi importants. L’hydrogène est difficile à stocker et à transporter. 5% de l’hydrogène produit est réellement décarboné, la production s’appuyant encore aujourd’hui à 95% sur l’utilisation de ressources fossiles polluantes. Entres promesses et limites, nous avons imaginé trois scénarios pour le gaz miracle à l’horizon 2030.

Scénario 1 – Le miracle hydrogène

L’urgence écologique et les investissements massifs en faveur de l’hydrogène ont fait sauter les derniers verrous : H2 est devenu le symbole d’une énergie verte et renouvelable. Portée par le développement de la production d’électricité décarbonée (nucléaire, éolienne,  solaire, hydraulique),  l’électrolyse prend une part croissante de la production d’hydrogène, sans toutefois faire encore jeu égal avec les techniques traditionnelles du reformage du gaz naturel ou de la gazéification. Dans le sillage des grands programmes nationaux, l’hydrogène alimente une mobilité zéro émission. Les 10,7 milliards d’euros investis par la Chine dans sa “société de l’hydrogène” permettent à l’Empire du Milieu de viser le million de véhicules d’ici 2030. Dans une moindre mesure, les 100 millions d’euros du Plan Hydrogène français ont favorisé l’innovation dans le secteur. Les piles à combustible envahissent tous les domaines, à l’image de la construction qui déploie de plus en plus de groupes électrogènes à hydrogène. Les enjeux propres au stockage et au transport du gaz stimulent les innovateurs. HySiLabs, startup lauréate des Prix EDF Pulse en 2018, facilite le transport de l’hydrogène par vecteur liquide. Le stockage géologique en cavité saline, représenté par Geostock, filiale de VINCI, doit permettre au secteur de changer d’échelle…

Scénario 2 – Ingérable hydrogène

Elon Musk, qui déclarait dès 2014 que les piles à combustibles sont “stupides”, peut jubiler. Les grands constructeurs automobile ont favorisé la batterie classique – dont les rendements ont progressé bien plus rapidement – à la pile à combustible. Les 280 milliards de dollars qu’il aurait fallu mobiliser pour faire passer l’hydrogène à l’échelle dans la mobilité  (estimation de l’Hydrogen Council en 2017) sont loin d’être atteints. Les coûts faramineux d’installation des pompes à hydrogène ont découragé les collectivités. Le prix des véhicules (une Toyota Mirai coûte 80 000€ en 2019) a refroidi les ardeurs des consommateurs. Dans l’opinion publique, les technologies liées à l’hydrogène restent confidentielles ou dangereuses. L’explosion d’une pompe en Norvège en 2019 a freiné pour un temps les livraisons de véhicules équipés. L’hydrogène pourrait ajouter son nom à la longue liste des succès technologiques soldés en échecs commerciaux.

 

Scenario 3 – L’hydrogène, chaînon manquant du mix énergétique

À mesure que se développent les énergies renouvelables, l’hydrogène s’impose dans les grands usages de l’énergie. Face à l’hégémonie électrique, ses applications sont plus spécialisées. Dans le domaine de la mobilité, la prophétie de Benoît Potier, PDG d’Air Liquide, s’est réalisée : les moyens de transports professionnels fonctionnent à l’hydrogène qui leur offre une grande autonomie. La question des bornes de recharge a freiné son adoption par les particuliers.

Face au développement rapide des énergies renouvelables “intermittentes”, comme le solaire ou l’éolien, l’hydrogène offre également une solution toute trouvée pour le stockage du surplus via l’électrolyse. Le Ferry Nøé, dont le système de propulsion a été conçu par Barillec Marine, une filiale de VINCI Energies, relie Ouessant au continent en s’appuyant sur ce principe. L’énergie fournie par les hydroliennes est stockée sous forme d’hydrogène par le ferry, ce qui évite les pertes liées à l’intermittence de la source. Le paquebot Green Dream fabriqué par STX à Saint Nazaire est propulsé grâce à un système de production d’électricité fourni par Entrepose, filiale de VINCI Construction. Toujours grâce à Entrepose, Eurovia capte le CO2 de ses installations et produit de l’essence de synthèse en combinant son CO2 à de l’hydrogène vert produit par une ferme photovoltaïque. La startup française Powidian utilise le stockage de l’hydrogène pour garantir la sécurité énergétique des territoires reculés, off-grid. Loin du duel annoncé, les synergies entre batteries et piles à combustible s’avèrent fructueuses !

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