Environnement et entreprises : la transition climatique comme stratégie

L’événement de clôture du cycle de rencontres dédiées à la Transition Environnementale des territoires et de leurs métiers, lancé par Leonard en septembre 2019, se tenait en ligne le 12 mai dernier. Réunis pour débattre de la façon dont l’impératif climatique peut inspirer la stratégie des entreprises, Jérôme STUBLER, président de VINCI Construction, Gilles VERMOT-DESROCHES, Sustainable Development Senior Vice-President chez Schneider-Electric, Claire TUTENUIT, déléguée générale chez Entreprises pour l’Environnement (EPE) et Romain GRANDJEAN, Project Manager chez The Shift Project se sont amicalement prêtés au jeu de l’interview par écrans interposés. Un exercice exigeant animé par le journaliste David ABIKER.

Urgence climatique, crise sanitaire, les paramètres environnementaux mettent les entreprises sous pression. Dans un monde fini où l’ensemble des activités économiques apparaissent de plus en plus étroitement liées à la bonne gestion des ressources naturelles, la question environnementale s’est imposée en quelques années comme un enjeu de performance et de pérennité pour les entreprises.

L’enjeu climatique est immense. Romain GRANDJEAN le formule en ouverture de la rencontre : « pour maintenir le réchauffement climatique sous les 2°C à l’horizon 2050, il faut réduire les émissions de CO2 de 5 à 6% chaque année. Notons d’ailleurs que les actions initiées aujourd’hui seront visibles en 2050, année à laquelle les 2°C que nous appelons de nos vœux seront effectifs en raison de l’inertie du climat. Enfin, tout le CO2 qui est actuellement rejeté dans l’atmosphère vient en grande partie de l’énergie qu’on consomme et qui est constituée à 80% d’énergies fossiles ». La domination des énergies fossiles est encore plus criante dans les secteurs qui font l’objet de nos travaux, à Leonard : « les transports, le bâtiment, l’industrie tournent aux énergies fossiles et leur croissance est entièrement dimensionnée sur la base de ce facteur ».

 

Les entreprises donnent le « la »

Devant les alarmes répétées et chaque année plus pressantes lancées par les scientifiques et organisations mobilisées en faveur du climat, les entreprises s’organisent. Elles appelaient par exemple dans une tribune récente à l’initiative d’EPE, co-signée par 93 dirigeants d’entreprises françaises et internationales – dont font partie Schneider et VINCI – à « [mettre] l’environnement au cœur de la reprise économique ». Et Claire TUTENUIT de compléter : « nous essayons, avec les membres d’EPE, de faire de la crise sanitaire et économique inédite que nous traversons, et qui va durer, une opportunité pour la transition écologique ».

Le ton est donné donc, mais les actions doivent suivre. Pour ce faire, le Shift Project a par exemple co-produit avec l’AFEP, dont VINCI et Schneider sont également membres, une étude soulignant la nécessité de faire de la transition bas carbone et climatique non pas un enjeu de communication ou de simple reporting, mais bien un enjeu de stratégie pour les entreprises, car comme le rappelle l’étude « l’environnement d’affaires des entreprises sera affecté [par la transition] ».

 

Croissance et transition, sœurs ennemies ?

 

 

Faut-il choisir entre croissance et transition ? Non, affirment de concert Jérôme STUBLER et Gilles VERMOT-DESROCHES. « Dans les pays où la croissance est favorable, il faut passer de la compliance à l’action. Arrêtons de produire des rapports annuels et attelons-nous à changer les choses de manière très concrète», propose Jérôme STUBLER. Et des leviers concrets, le secteur de la construction en regorge. Parmi eux, par exemple, le recours à des matériaux à moindre impact, comme le béton bas-carbone, qui permet de diviser par 2 voire 3 la signature CO2 du premier matériau de construction employé sur la planète, ou le recours à des choix de conception qui prendraient en compte le cycle de vie complet du projet.

Même écho du côté de Gilles VERMOT-DESROCHES, qui complète : « il va falloir accompagner le nécessaire rebond de l’économie. Pour Schneider Electric, le numérique, qui pénètre les secteurs de l’énergie et du bâtiment, sera décisif dans la conduite des grands mouvements qui s’annoncent ».

Mobiliser toutes les parties prenantes

La transition environnementale des territoires ne se fera pas sans les clients et donneurs d’ordre. « Il y a quelques années, on nous assurait que les clients refuseraient de payer plus cher un bâtiment mieux isolé thermiquement, puis la RT2012 et bientôt la RE2020 ont été établies », rappelle Jérôme STUBLER, pour souligner le rôle crucial des pouvoirs publics dans l’inflexion de la demande.

Avis partagé par Claire TUTENUIT : « il faut dans le même temps stimuler la demande par des normes et l’offre par de l’incitation à de l’innovation avec un cadre réglementaire qui va la faciliter. Mais il faut aussi souvent une dose de contrainte pour que les investissements favorables à l’écologie trouvent leur marché et leur viabilité économique ; la transition ne peut pas résulter de la seule action volontaire des entreprises, aucun acteur ne peut la faire seul». Et de conclure : « pour être juste, la transition écologique nécessite la coopération des entreprises privées, des acteurs publics et des citoyens ».

EPE soulève l’importance des investissements publics « notamment quand les modèles économiques spontanés ne vont pas dans le sens de la transition énergétique », mais aussi et surtout du secteur privé. Les actionnaires, comprenant les épargnants privés individuels également, ont à ce titre un rôle essentiel : « Le monde financier a réalisé la responsabilité qu’il portait dans la gestion du climat et qu’il avait des leviers et moyens d’agir importants. Il pousse pour que les entreprises précisent leurs échéances de transition, leur trajectoire », complète Claire TUTENUIT.

 

Génération Greta, vent debout ?

Pour Gilles VERMOT-DESROCHES, « les Millenials, ces jeunes talents que les entreprises veulent attirer pour être plus innovantes, sont de plus en plus exigeants sur les choix qu’ils portent et la question la plus complexe pour les entreprises n’est pas de les attirer, mais de les retenir ». Pourtant, souligne Jérôme STUBLER, « cette transition nous touche tous quel que soit notre âge. La prise de conscience actuelle mobilise chaque citoyen et au sein des entreprises, il est nécessaire que la stratégie infuse au niveau du top management mais aussi au sein de nos 840 BU et près de 3 000 projets pour qu’elle se concrétise. Chacun est concerné ».

C’est d’ailleurs « dans les boîtes dont les activités sont les plus polluantes que le levier est le plus important », notent les deux présidents engagés pour le climat. Une transition qui « ne sera pas un long fleuve tranquille, comportera des ruptures, parfois chaotiques, et à laquelle il va falloir se préparer en développant son agilité et inventant de nouvelles façons de fonctionner », conclut Romain GRANDJEAN.

 

Et pour consulter les autres volets du cycle dédié à la transition environnementale, accédez à tous les replays du cycle et aux comptes rendus des conférences.

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