Frédéric Delaval : “On tend à recréer une logistique de proximité”

Le e-commerce et les relais physiques qui lui permettent d'advenir redessinent radicalement la logistique urbaine. Digitalisation, mutualisation, dernier(s) kilomètre(s), écologie : les enjeux sont nombreux et bouleversent la chaîne de distribution. Pour comprendre les mutations à l’oeuvre, nous avons échangé avec Frédéric Delaval, directeur du programme stratégique de Logistique Urbaine du groupe La Poste et Président d'Urby.

Pouvez-vous nous décrire votre activité en quelques mots ? 

Je suis président du réseau Urby, un réseau d’entreprises spécialisées dans la logistique urbaine et dans tous les flux de marchandises sur le premier ou le dernier kilomètre. A partir de plusieurs sites localisés en coeur de ville, l’objectif est de proposer des services de stockage et de livraison urbaine aux transporteurs, messagers, commerçants, artisans, collectivités, entreprises et particuliers, en utilisant des véhicules à faible niveau d’émissions et des vélos.

 

Quels sont les grands défis de la logistique urbaine aujourd’hui ? 

L’enjeu principal aujourd’hui est d’accompagner le développement du e-commerce, tout en proposant des prestations de haut-niveau, avec des temps de livraison extrêmement courts. En quelques années, la demande a évolué d’un standard J+3 à J+1. Aujourd’hui, la livraison le jour même, voire à l’heure près, est devenue monnaie courante. Ce qui entraîne une révision globale des chaînes d’approvisionnement et de la localisation des stocks, afin d’être au plus près de celui qui passe commande.

 

Les réglementations fortes qui protègent à raison le citoyen et l’environnement tendent à complexifier la livraison de marchandises. C’est une contrainte qui s’applique d’ailleurs à de nombreux acteurs. Les pratiques de mutualisation s’appuient sur un constat simple : les études montrent que 70% des marchandises livrées en coeur de ville le sont par les camions de petits opérateurs, chargés entre 20 et 25% de leur capacité. Il y a donc une marge d’optimisation extrêmement forte.

 

Pouvez-vous nous décrire cette refonte de la chaîne de distribution ? 

A Paris, juste après-guerre, la logistique était dans la ville. Aujourd’hui, les grands entrepôts de stockage pour alimenter la métropole sont positionnés le long de la N104, la troisième boucle périphérique de Paris. Cela implique beaucoup de transport et une gestion des flux complexe, encore accentuée par la densification de la ville. Les délais de livraison restreints entraînent des rotations fortes, de la circulation, de la pollution, de la congestion.

 

Face à ce phénomène, émerge une logistique de proximité qui tend à repositionner les stocks en coeur de ville. Cela implique de créer des emplacements, des zones de stockage, et de disposer d’une main d’oeuvre capable d’assurer la distribution.

 

Quelles sont les solutions qui permettent ce repositionnement ? 

Pour contenir les coûts et transporter les marchandises dans les meilleures conditions (réglementaires, de consommation d’énergie, de délais), il est nécessaire de quadriller au maximum le territoire. C’est le rôle des plateformes de mutualisation, situées aux abords des villes, à 3 ou 4 km maximum. Ces plateformes permettent à tous les transporteurs de déposer leurs marchandises sans entrer dans la ville. Ils y abandonnent le dernier kilomètre et la livraison finale. Dans le même temps, les véhicules qui livrent le coeur urbain collectent les produits de la ville – reverse logistique, produits fabriqués dans la ville, voire recyclats – et les déposent sur ces plateformes de mutualisation.

 

L’autre pan de notre activité concerne les établissements de logistique urbaine en centre-ville. Ils permettent aux commerçants de proximité de proposer des services proches du e-commerce en leur fournissant des espaces de stockage, des services de livraison ou de préparation de commande.

 

Sur quelles technologies s’appuie la logistique urbaine ? 

L’intégration numérique est fondamentale. Elle permet d’anticiper et de réceptionner le flux, de faire des transferts de responsabilité assurantiels, de garantir la traçabilité, de faire du push d’informations ou de faciliter la facturation… Les TMS (Transport Management System) sont à ce titre incontournables.

 

Côté véhicules, la tendance principale est à la réduction des émissions. La plupart des grands acteurs sont en train de migrer vers une flotte à faible émissions. Cela pose de nombreuses questions d’infrastructures, particulièrement en termes de stations de ravitaillement et de bornes de rechargement électriques.

 

Par ailleurs, nous aurons toujours besoin d’axes de circulation. Cependant, il est difficile de savoir si les marchandises passeront par la voirie classique ou par des canaux spécialisés. A ce titre, la circulation souterraine de robots est séduisante. A l’image du métro pour les passagers, cette solution permet la circulation de marchandises sous terre pour les acheminer jusqu’à des gares de livraison. En Suisse, le système CST est déjà en train d’inventer son cadre légal ! Dans le même ordre d’idée on peut imaginer le transport de marchandises par câble. Le projet supraWay propose quant à lui de faire du transport de marchandises à travers un rail en béton, sur lequel circulent des navettes…

 

Pour l’instant on fait avec ce qui existe. Le politique prend doucement conscience des enjeux de mobilité concernant les marchandises. La loi ELAN ou la loi LOM vont obliger les acteurs industriels à imaginer une supply chain globale et les infrastructures qui vont avec, en concertation avec les élus. Nous sommes au début de la transformation.

 

Comment imaginez-vous le futur des véhicules de logistique urbaine ? 

Je vais rester prudent. On parle beaucoup de véhicules autonomes, mais ils ne seront probablement pas opérationnels avant 7, 8 ou 10 ans. C’est une question d’infrastructure. Des systèmes de communication extrêmement puissants, qui n’existent pas encore à l’échelle industrielle, seront nécessaires.

 

Par contre, on constate déjà l’apparition d’une alliance entre robotisation et usages humains. Les chariots suiveurs libèrent les livreurs d’une tâche pénible. Sans être 100% autonomes, ils sont appairés à leur opérateur et peuvent gérer les obstacles.

 

Les drones sont également sources d’évolutions notoires. Le groupe La Poste, à travers sa filiale DPD a développé une première ligne de livraison de colis par drone. Cependant, je ne pense pas que les drones volants puissent approvisionner la ville à court terme, pour des raisons de précision, de réglementation et de sécurité. Ils sont plus prometteurs dans les environnements libres d’activité humaine, en montagne ou pour accéder aux îles. Les drones lourds de transport de marchandise sont également intéressants, par exemple le long des autoroutes.

 

Ces solutions demandent de gros investissements en termes d’infrastructure : systèmes de communication, radars, droits de circulation de drones volants… Il y a donc encore du travail.

 

La question des mobilités douces et légères est également importante. Mais il n’est pas possible de transporter des palettes de 500 kg, de l’ameublement ou de l’énergie en vélo. Il n’est pas raisonnable de penser que tout sera transporté grâce aux modes doux. Il va falloir adapter les bons moyens aux bons usages : véhicules lourds pour charges lourdes, véhicules légers pour charges légères.

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