Trois projections d’avenir pour la logistique en ville

La ville est traditionnellement le territoire des enjeux logistiques. Au premier siècle de notre ère, Rome crée la fonction de Praefectus Annonae, dont les attributions sont très proches du logisticien contemporain.

Avec leurs 21 000m² de stockage au sol, les Horrea Galbae, situées à la périphérie de la capitale de l’Empire, serviront d’ailleurs de modèle d’entrepôt pendant près de deux millénaires… Cependant, aucun de nos illustres aînés n’a connu la convergence de facteurs qui touche aujourd’hui le secteur de la logistique. Le premier concerne la concentration urbaine, qui réunit en ville une part toujours croissante de l’activité humaine. 73% des Européens vivent aujourd’hui en ville, et ces dernières génèrent 85% du PIB. Le second a trait à l’explosion récente du e-commerce et des exigences qui l’accompagnent chez le consommateur. L’équation est simple : il s’agit de livrer plus de 87 milliards de colis par an, dans des villes de plus en plus denses, le tout sans dépasser un jour de délai…

 

Dans ce contexte, les méthodes traditionnelles montrent leurs limites alors que la congestion et la pollution saturent l’espace urbain. Cécile Maisonneuve, présidente du think tank La Fabrique de la Cité, juge que la notion de place de livraison doit être réinterrogée : « On doit aboutir à une gestion permettant d’avoir une voirie flexible, selon les heures de la journée, et les jours de la semaine. Dans le cas d’une forte demande d’occupation de la voirie, il faut que cela coûte plus cher, que ce soit pour des véhicules personnels ou de livraison ». Afin d’illustrer les opportunités et les risques qui entourent le secteur, nous avons imaginé trois scénarios, déployés dans un futur proche.

 

Scénario #1 : Anarchie logistique

 

Cette première hypothèse postule un prolongement du flou réglementaire et de la compétition de tous contre tous qui règne aujourd’hui sur le secteur. 12% seulement des entreprises de logistique intègrent les partenariats au coeur de leur stratégie de développement en 2020. 10 ans plus tard, ce chiffre n’a pas changé et les villes peinent à stabiliser un cadre efficace pour la logistique. Les nouveaux entrants sont nombreux, qui s’appuient sur l’infrastructure existante. Les services de livraison crowdsourcée, à l’image d’Instacart ou Amazon Flex, reposent sur une main d’oeuvre précaire sans pour autant apporter de solution aux questions d’engorgement et de pollution. La guerre est également celle de l’espace alors que les places de parking temporaires, les drones et les casiers privés envahissent la chaussée, réveillant le souvenir de l’invasion des trottinettes électriques, 10 ans plus tôt. L’adaptation à marche forcée oblige les acteurs de l’immobilier à imaginer des projets “parcel friendly”, alors que la voirie se fait dynamique et multi-usage comme à Barcelone.

 

Ce scénario désordonné présente malgré tout des externalités positives. Certains acteurs innovent afin de se passer tout simplement de livraison. Dans le domaine des pièces détachées de petite taille, l’impression 3D permet aux constructeurs automobiles de produire certaines pièces sur place…

 

Scénario #2 : La ville reprend le pouvoir

 

Un second scénario permet d’imaginer des villes fortes, qui reprennent en main la logistique du dernier kilomètre par une réglementation et des investissements importants. Ici, les grands travaux d’infrastructure changent le visage d’une ville qui prend son destin en main. De grandes sociétés d’aménagement métropolitaines s’associent aux acteurs industriels et aux startups pour une livraison sous contrôle.

Les “groundscapes” imaginés par l’architecte Dominique Perrault comme des immeubles inversés se développent. Ils accompagnent un besoin réduit en stationnement de longue durée, couplé à un besoin croissant de services. Le premier niveau y est pensé comme une annexe de la voirie et regroupe tous les services du dernier kilomètre : casiers, stationnement temporaire, consignes…

Le souterrain devient le lieu des grands travaux d’infrastructure. Le CST un système de cargo souterrain déployé en Suisse, essaime dans le monde entier alors que les grandes métropoles se dotent de réseaux de transport de marchandise enterrés.

Enfin, la réglementation pousse les acteurs industriels à la mutualisation et à la densification. En France, les entrepôts de proximité d’Urby se développent en coeur de ville alors que les Hôtels Logistiques Urbains (HLU) s’imposent comme le modèle dominant. Avec 900 logements, 33 000m² de bureau, 6000m² d’équipement public et un hôtel logistique multimodal d’environ 40 000 m², le projet Chapelle International à Paris sert de mètre étalon.

 

Scénario #3 : GAFA land

 

Enfin, troisième option, les acteurs leaders parviennent à se partager le marché. Concentrée chez un petit nombre d’entreprises puissantes, l’optimisation des flux logistiques est laissée aux mains du secteur privé. Capables d’investissements massifs, ces acteurs poussent dans le sens d’une automatisation généralisée de la livraison.

Les gros porteurs se passent de chauffeurs, font leur transition électrique, et se pilotent en flottes interconnectées. Dès 2020, le projet Vera de Volvo, testé dans le terminal de Gothenburg en Suède, laisse présager du futur. Le dernier kilomètre n’échappe pas à la robotisation. Continental déploie ses véhicules autonomes associés à des quadrupèdes indépendants pour le porte à porte. Les robots Scout d’Amazon sillonnent déjà la plupart des villes. Côté traçabilité, la multi-connectivité et l’IoT permettent aux e-commerçants de suivre leurs colis en temps réel. Dans le même temps, les entrepôts poursuivent une logique d’automatisation déjà largement entamée en 2020. Les géants du numérique investissent également l’espace urbain et la chaussée. Le concept de “Rue dynamique”, développé par Carlo Ratti et Sidewalk Labs est désormais adopté par les centres-villes du monde entier. Il permet de faire varier l’usage de la voirie en fonction du temps et des contraintes : ce qui était une piste cyclable le matin peut ainsi devenir un aire de jeu l’après-midi…

Pour piloter ces systèmes complexes, l’infrastructure digitale reste aux mains des GAFA ou d’Alibaba qui peuvent proposer leurs services sur l’ensemble de la chaîne…

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